La “news” du 27 mars 2020
Un décret relatif au préjudice corporel a fait son entrée le 27 mars 2020 (ici). Il porte sur la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé DATAJUST. Une règle de plus donc, mais serait-ce la règle de trop ?
Ce décret a fait grand bruit au sein des professionnels du dommage corporel. Il y a également à espérer que ce décret a fait réagir certains magistrats (pour ne pas dire tous). En effet, une partie d’entre eux est à l’origine du référentiel le plus souvent utilisé par les professionnels du droit (voir une version de ce référentiel). Un tel décret vient donc effacer le seul texte qui faisait le plus de consensus dans les procédures judiciaires.
DATAJUST… Dans un premier temps, ce nom pourrait faire uniquement écho au traitement de données par la justice. Une sorte de condensé entre les termes “données “et “justice”.
La question de mettre en place une intelligence artificielle pour rechercher, trouver et comparer des sommes indemnitaires n’est pas choquant. Cet outil prédictif est déjà proposé par certaines plateformes juridiques. Les avocats spécialisés classent également leurs propres jurisprudences. En bref, l’officialisation d’un algorithme pour aider à l’indemnisation du préjudice corporel n’est pas une révolution. C’est un peu comme si, se rendant compte de ce qui se passait sur Terre depuis des années, la Chancellerie était soudain revenue de son voyage dans l’espace. Une simple mise à jour en somme, pour imposer son propre référentiel …
Mais une autre interprétation du décret du 27 mars 2020 peut se dévoiler.
DATA… JUST. Si par son nom, ce décret se veut un outil pour déterminer l’indemnisation la plus juste possible… alors… Huston NOUS AVONS UN PROBLEME ! Plusieurs, pour être précise…
Problème n°1 : Avec DATAJUST, l’humain ne semble plus la priorité
Depuis que le système judiciaire existe, la place de l’humain est prépondérante. Si si ! Grâce à la présence des juges consulaires, des magistrats, des conseillers prud’homaux, et autres. En bref, les humains se font juger par des humains. Et ça, ce n’est pas rien. Car là où deux affaires de préjudices corporels paraissent identiques, l’humain permet de les différencier, et de mieux comprendre le ressenti d’une victime.
Donc, l’application de ce fameux décret revient à se faire juger… par des robots. Vu les suites imaginées dans certains films de science-fiction, pas sûr que l’humain survive face à l’intelligence artificielle que veut mettre en place la Chancellerie …
Problème n°2 : Avec DATAJUST, tous les préjudices ne semblent pas être pris en compte
L’algorithme ne semble pas intégrer la totalité des postes de préjudices ni l’ensemble des subtilités propres à chaque victime. A l’inverse, il prend en compte des principes bien trop larges pour ne pas être appréciés par l’humain. C’est le cas de la dignité de la victime. Quoi de plus humain que la dignité de chacun ?
Problème n°3 : La position de la jurisprudence ne se concentre pas sur deux ans comme le suggère DATAJUST
Chaque affaire de préjudice corporel le prouve : les décisions de jurisprudence utilisées dans l’appréciation des préjudices et de leur indemnisation ne datent pas (toutes) d’hier. Oui,les avocats recherchent des décisions rendues le plus récemment possible. Mais toutes les décisions récentes ne sont pas les plus justes ni les plus évolutives. Par conséquent, concentrer la base de données sur deux ans comme le prévoit le décret est un non-sens juridique.
Problème n°4 : Vers une application durable du décret DATAJUST et son référentiel imposé
Le décret du 27 mars 2020 est applicable durant deux ans, soit jusqu’à fin mars 2022. Rien ne prouve que l’outil ainsi mis en place perdure pour devenir LE référentiel obligatoire.
Problème n°5 : Le flou sur les modalités de fonctionnement de l’algorithme DATAJUST impose la méfiance dans l’évaluation des préjudices
On ne sait pas comment l’algorithme fonctionne. Le décret prévoit le recensement de données qui concernent les demandes et les offres faites entre les parties dans le cadre du règlement amiable. Il prévoit aussi de recenser les données qui concernent les montants alloués pour certains postes de préjudices (il n’est pas fait mention de la nomenclature DINTILHAC). Il n’est pas précisé si ces montants indemnitaires ont été versés à titre amiable ou suite à une décision judiciaire.
Il y a lieu de s’interroger sur la manière de déterminer le référentiel décrété. Une moyenne est-elle faite entre les montants proposés et les montants alloués ? Si c’est le cas, on voit mal comment l’algorithme peut tenir compte des concessions qui auront été faites entre les parties. Des discussions amiables entraînent inévitablement des contre-parties réciproques. Et de telles concessions ne répondent pas forcément de la logique informatique. Ainsi, à la lecture du décret, rien ne permet de dire que l’ IA sera en mesure de les prendre en compte.
En bref : DATAJUST représente un risque de détérioration du système indemnitaire
Le système indemnitaire déjà en place a le mérite de fonctionner. Il a aussi une qualité qu’on ne saurait lui ôter : il est le fruit d’une collaboration entre les professionnels du préjudice corporel (des associations de victimes, des avocats, des présidents de Cours d’Appel notamment).
A l’heure actuelle, il appert que ce décret est un réel danger pour les victimes. Un tel système vient détruire le principe de la réparation intégrale si durement défendue par les avocats.
La question est donc la suivante : quand la Chancellerie ouvrira-t-elle les yeux sur ses initiatives lunaires ?